La misère, ce drame qui erre sans inquiéter nos sociétés

Bernard DEVERTIl y a 30 ans, le 17 octobre 1987, à l’initiative du Père Joseph Wresinski, qui devait s’éteindre un an plus tard, se tenait la journée mondiale du refus de la misère.
Depuis, sans discontinuité, cette journée est honorée avec un point d’orgue sur le site du Trocadéro où sont inscrits, dans une des dalles, ces mots si denses et décisifs du fondateur d’ATD Quart Monde : « là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés ».
La misère est une violence, une guerre destructrice, pour ôter aux plus pauvres le droit d’exister, condamnés à être les exilés d’une Société animée par la volonté de puissance.
L’arme de cette guerre silencieuse est l’indifférence qui ne désarme point, quand bien même les voix les plus autorisées au plan moral et spirituel s’évertuent à rappeler : « plus jamais ça ».
La misère est un tel drame que nous ne saurions la dédramatiser – elle l’est suffisamment – par des mots approximatifs, conscients que seuls ceux qui la vivent peuvent vraiment en parler. Simplement, sans trahir, relevons qu’elle demeure et s’aggrave à la différence de la pauvreté qui certes, lentement, trop lentement, cède un peu de terrain.
Que d’hommes, de femmes, d’enfants sont littéralement « déchiquetés » par la culture du déchet – dénoncée justement par le pape François – jetés, pour avoir comme tort d’être dans la misère sans que ce constat interroge et lève massivement des énergies pour dire enfin non à cette posture de la passivité.
Refuser la misère, ce n’est pas l’observer, mais la combattre, en prenant le risque de désarmer à soi-même pour se libérer de l’armure que sont les jugements, autant d’alibis pour se mettre à l’abri de ceux qui se considèrent souvent illégitimes pour être exclus. Le Père Wezzinski fut appelé : le curé de la racaille.
Refuser, c’est faire bouger des lignes pour ne point accepter l’injustice dans laquelle les plus pauvres sont enfermés. Il ne s’agit pas d’être des justiciers ou des donneurs de leçons, mais de prendre le risque de rencontrer les ‘survivants’ d’une Société, en se laissant surprendre par leur capacité à ne point désespérer, à commencer, de nous-mêmes.
Refuser la misère, c’est rappeler à temps et à contretemps qu’oublier la dignité de la personne, est le plus sûr moyen pour une Société de se perdre. Comprendre que tout être a un espace inviolable, quelle que soit son histoire, doit susciter l’insurrection de l’âme et de l’esprit dès lors que des vies sont saccagées et meurtries.
Refuser la misère, c’est dire non concrètement au malheur en luttant pour que survienne le bien au sens où Simone Weil, la philosophe, dit qu’il est la seule source du sacré. Cette perspective ne pourrait-elle pas nous réunir pour en finir avec cette barbarie affligeante pour nous tous et insultante à l’égard de ceux confrontés au mépris.
Que faire ? Quitter le goût du chaos dont témoigne la résistance si « molle » à la misère pour devenir les passeurs d’une civilisation au sein de laquelle l’oubli du plus miséreux deviendrait délit de non-assistance à personne en danger.
Oui, refuser la misère, se faire proche de ceux qui la connaissent, une ouverture et une aventure pour devenir pleinement homme. N’oublions pas, le 17 octobre n’est pas une commémoration mais un appel ;

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