17 octobre 2017 : petit-déjeuner du Club de l’Audace avec Mercedes ERRA, Fondatrice de BETC, Présidente Exécutive d’Havas Worldwide
Selon Mercedes Erra, pour réussir dans la publicité, il faut d’abord chercher à rencontrer les gens afin de comprendre leurs mécanismes, d’analyser ce qu’ils pensent et d’essayer de savoir pourquoi ils le pensent. Ce qui compte, c’est ce que disent les gens car quand on leur parle, ils pensent toujours que ce qu’ils disent est important, même si ensuite leur comportement n’est pas forcément cohérent avec leurs propos. Autrement dit ce qu’ils disent est plus important que ce qu’ils font.
Vouloir les faire changer d’avis se révèle souvent être un objectif extrêmement difficile à atteindre. Il est plus efficace de se limiter à essayer de comprendre l’état de la population à un moment donné, ce qui constitue le contexte dans lequel les entreprises se développent.
Ce contexte est caractérisé par des tendances qui contrairement à ce qu’on imagine évoluent à un rythme très lent. Dès lors que la société et les individus qui la composent changent très lentement, il est stratégique de ne pas vouloir transformer une marque trop souvent. Au contraire, il faut chercher à creuser le sillon de la marque et à inscrire ce sillon dans le temps.
Il est particulièrement instructif de s’intéresser au regard que portent les gens sur la société. Pendant longtemps, ils ont eu un regard positif. Aujourd’hui, quand on leur demande si la société va dans la bonne direction, ils répondent majoritairement NON (à hauteur de 70% en France, de 65% aux Etats-Unis, de 40% en Chine sachant que ce taux ne cesse de croitre). On n’était pas habitués à cette réaction, la pensée dominante mettant en avant une société qui progressait.
En 2008, les gens ont voulu faire de la crise financière une crise de société. Dès lors sa résolution est devenue beaucoup plus complexe. Les citoyens pensaient qu’il était normal d’être en crise car on le méritait. N’étant pas fatalistes, ils ont exprimé une volonté de changement. Si par le passé on entendait qu’il fallait que les autres changent, le discours a évolué. Les citoyens mettent aujourd’hui en avant leur volonté d’être acteurs du changement dans la mesure où ils ne croient plus aux choses du passé. Lorsqu’on leur demande s’ils pensent avoir un rôle à jouer pour créer un monde meilleur, ils répondent très majoritairement OUI. Ils s’interrogent pour eux-mêmes et remettent en question leur façon de vivre. Cette responsabilisation des individus se retrouve au niveau de nouvelles entreprises qui accordent une grande importance au fait de jouer un rôle dans la société. Cette culture activiste incarnée par les petites structures fascine les grands groupes qui eux aussi vont progressivement prendre conscience de la responsabilité qui est la leur face à l’évolution de la société.
Cherchant à justifier la crise de 2008, les citoyens ont considéré que la consommation en était en partie responsable. Dès lors, ils l’ont interrogée et en ont fait un levier de changement. Est-ce que j’ai besoin de ce produit ? Est-ce qu’il me fait plaisir ? En interrogeant la consommation, ce qu’expriment les citoyens, c’est la vision qu’ils ont d’eux-mêmes. Faisant davantage confiance aux entreprises qu’aux gouvernements, les citoyens attachent une importance croissance au comportement de ces dernières et aux caractéristiques des produits et services qu’elles vendent. Leurs achats sont devenus moins impulsifs et plus responsables. Ils enquêtent, ils visitent les entreprises. Ils utilisent Internet pour s’informer et pour faire pression. Ils veulent acheter des produits et services d’entreprises qui ont un impact positif sur le monde. 78% des gens pensent que les entreprises ont la même responsabilité que les gouvernements pour mener le changement. Elles doivent montrer un chemin, faire face à des enjeux et jouer un rôle dans l’amélioration du monde. 78% pensent que les entreprises ont plus de pouvoir que les Etats.
Parmi les responsabilités qui incombent aux entreprises, la protection de l’environnement et la sauvegarde de la planète sont des sujets qui ne se discutent pas. Le travail à en ce sens est admis par 100% des entreprises. Les entreprises ont la responsabilité de faire davantage qu’uniquement du profit. Certains pensent même que le profit n’est pas forcément une obligation, le fait de créer des emplois pouvant suffire à justifier l’existence d’une entreprise.
Il est à noter que les marques responsables ont actuellement une croissance deux fois plus importante que les autres. Une belle marque est une marque qui propose des produits et services de qualité. A travers la marque, il ne faut pas chercher à distinguer le corporate des produits et services. Cette distinction est trop complexe et ne fait pas de sens. A travers sa marque, une entreprise doit d’abord chercher à parler de son métier, autrement dit de ses produits et services. Elle ne doit pas chercher à parler de valeurs ou de RSE mais à parler de son métier et à montrer qu’elle croit à ce qu’elle fait. Quand on réfléchit à la RSE, on oublie le métier. Or, les gens attendent d’abord l’exigence et la qualité du métier. Total par exemple ne peut pas ne pas parler de pétrole. Il ne doit pas avoir honte et insister sur le fait qu’un pays sans énergie ne peut pas se développer. Il est à noter que le dirigeant joue un rôle très important dans la communication de l’entreprise dans la mesure où il faut un leadership pour indiquer le sens et parler de son métier. Qu’est- ce que je fais ? Quel est mon métier ?
A travers la marque, on confond l’entreprise et son métier. Une marque n’est pas ce que l’entreprise voudrait qu’elle soit mais ce que les consommateurs considèrent comme vrai. Ces derniers attendent des preuves de la part de l’entreprise.
Les marques doivent intégrer deux notions stratégiques :
- La qualité du produit/service (le métier),
- Le comportement vis-à-vis de la planète.
Pour le comportement vis-à-vis de la planète, les entreprises sont sur des notions qui diffèrent en fonction de l’endroit du monde dans lequel on se trouve. Il renvoie à l’éducation au Brésil, à la lutte contre les inégalités en Espagne ou encore à la pollution en Chine.
Avec son slogan « Il faut se bouger », Nike joue un rôle dans le monde. Il en est de même pour McDonald’s avec son slogan « Venez comme vous êtes ». Cette responsabilité face à l’évolution du monde n’exonère pas pour autant une entreprise comme McDonald’s de devoir faire progressivement évoluer ses produits, la révolution de la nourriture étant incontournable.
De son côté, La Poste avec son slogan « Simplifier la vie » présente son métier de manière totalement différent de celui qui consisterait uniquement à distribuer du courrier. Elle renforce sa responsabilité à l’égard de la société.
Si la communication autour de la marque est stratégique pour vendre, elle va au-delà. Elle permet de rendre les collaborateurs fiers et de bonne humeur. Ils seront alors redoutablement efficaces. On peut noter que le lieu de travail aura également un impact sur leur motivation. Plus que l’utilité du lieu c’est sa beauté qui aura le plus d’impact sur les collaborateurs.
A propos de Mercedes ERRA :
Née en Catalogne, Mercedes ERRA arrive en France à l’âge de 6 ans. Elle fait ses études au lycée Bergson de Paris où elle décroche son baccalauréat mention très bien en 1977. Puis elle obtient une Maitrise et un CAPES de lettres à la Sorbonne en 1978 avant d’intégrer HEC.
En 1982, elle commence sa carrière dans le groupe Saatchi & Saatchi. Elle y gravit rapidement tous les échelons : stagiaire assistante chef de publicité, chef de publicité, directrice de clientèle, directrice générale adjointe ; pour devenir en 1990 directrice générale de l’agence.
En 1995, elle quitte Saatchi & Saatchi pour co-fonder l’agence BETC au sein du groupe Havas (elle est le « E » de BETC – Babinet Erra Tong Cuong). En 2000, elle devient présidente de l’agence.
Elle poursuivra sa carrière au sein du groupe Havas. Elle est aujourd’hui Présidente Exécutive d’Havas Worldwide.
Mercedes ERRA est spécialisée dans la construction et la gestion des grandes marques. Elle a contribué à d’importants tournants stratégiques pour les marques dont elle s’est occupée (la santé pour Danone, la jeunesse pour Evian, la vision d’Air France « faire du ciel le plus bel endroit de la terre », McDonald’s « venez comme vous êtes »).
Mercedes ERRA occupe de nombreux postes d’administrateurs :
- Administratrice du groupe Havas depuis 2010,
- Présidente du conseil d’administration de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration depuis 2010,
- Présidente du Conseil d’Administration de l’Établissement public du palais de la Porte Dorée depuis 2012,
- Membre du conseil d’administration du groupe Accor depuis 2011,
- Administratrice de la Fondation France Télévisions depuis 2010
Mercedes ERRA s’implique dans l’enseignement. Elle assure le cours principal sur la marque dans le Master 2 Marketing et Communication des Entreprises de l’Université Paris II Panthéon-Assas.
Mercedes ERRA est impliquée dans la lutte pour le droit des femmes. Elle est engagée dans le Women’s Forum for the Economy and Society, dont elle est l’un des membres fondateurs, dans l’UNICEF, dans la Fondation Elle. Elle est également membre actif du Comité français de Human Rights Watch, et membre permanent de la Commission sur l’image des femmes dans les médias. Elle est membre du conseil d’administration de l’association Force femmes.
Elle a toujours occupé de nombreuses fonctions associatives :
- Présidente de l’association des agences conseils en communication entre 2002et 2004,
- Présidente du réseau des anciens d’HEC entre 2005 à 2008.
Téléchargez l’article paru dans le Journal Spécial des Sociétés n°96 du 16 décembre 2017, page 19